dimanche 30 mai 2010

Crise en Thaïlande

Oui je sais, mon blog décrit des rencontres en tout genre mais ne parle absolument pas des événements majeurs que vit le pays depuis plus de 2 mois maintenant.

Les médias internationaux n’ont pas manqué de retranscrire le profond malheur et les manifestations violentes qui en ont découlé principalement à Bangkok.
Car oui la situation est aujourd’hui retournée à la normale mais le malaise ne fait que se dévoiler au grand jour et on peut penser que ce n’est que le début.

Les grandes nations de ce monde ont ainsi vite exprimé leur inquiétude quant aux lourds investissements qu’ils génèrent dans le royaume du sourire et bien sûr à l’afflux de touristes qui vient régulièrement y honorer ses délicieuses vacances.
Et je crois en effet qu’un article au minimum mérite bien d’être dédié à tout cela tant il est difficile à en comprendre tous les mécanismes ici. Comment cela doit être depuis l’étranger ?

Bien loin de moi l’idée de critiquer qui que ce soit dans ce vaste système. Complexe comme dans toute région du monde, il est constitué de mouvements politiques forts qui jusqu’à présent restaient organisés autour d’une unique hiérarchie du pouvoir, du roi et de l’armée.

Mais si cette structure existe depuis plus de 60 ans, marquée par plus de 18 coups d’état ce qui peut en faire le sport national, elle semble pour autant prendre une nouvelle direction. Car derrière tout cela la population a bien son mot à dire. Jaunes, roses, et rouges se partagent la majorité de l’expression politique du pays.

Là encore loin de moi l’idée de dire ce qui est bon ou pas. C’est de toute manière impossible et non-objectif comme jugement. Mais si hier les jaunes étaient la force intouchable du royaume, dirigés par des institutions élitistes qui montraient au pays la voie du développement, ils se voient aujourd’hui bousculés par un mouvement rouge, beaucoup plus populaire, qui cherche à revoir la distribution des richesses que tout un pays orchestre et non plus seulement une part de la population.
La société mute et cherche à avancer et à évoluer. Divergences de points de vue apparaissent et c’est normal. Mais inéluctablement le changement des mentalités est en marche et le carrefour entre intellectuels tend à enrichir le débat politique vers des aboutissements concrets et novateurs pour ce pays qui est peut être l’un des premiers pays d’Asie du Sud-Est à vivre une véritable émancipation de sa population dans le sens de l’égalité des chances et de la démocratie. Nouveau tournant donc pour cette partie du monde.

Les événements de ces dernières semaines en sont un symptôme, et montre les attentes pour une partie de la population qui veut faire valoir son poids politique, qui recherche du changement et qui veut faire reconnaitre de nouvelles élections face à un gouvernement actuel qui ne peut pas justifier de sa légitimité après son accession au pouvoir par coup d’état en 2006.

D’un autre côté, le mouvement rouge aussi vaste soit-il peine à se dissocier d’un leader politique qui l’a amené sur le devant de la scène : Thaksin. Celui-ci est ainsi l’homme controversé de tous les débats. Anime-t-il les protestations depuis l’étranger où il est en exil ? Donne-t-il à ces manifestations une représentation plus musclée et activiste ? Rien n’est moins sûr, mais si ce personnage emblématique pour une grande partie de la Thaïlande reste et restera un élément majeur dans ce tournant évident, il ne semble peut-être pas être l’homme idéal pour conclure sérieusement cette longue marche, notamment avec ses nombreuses condamnations pour corruption sur le dos… Les leaders rouges quant à eux, peinent à le dépasser sur un discours uni pour formuler une opposition légitime aux yeux de tous.
Les élites ne sont pas mortes pour autant, c’est une évolution qui ira jusqu’au bout sans aucun doute, emmenant avec elle une mutation de ces grandes institutions jusqu’à présent très familiales.

Mais une fois plongé à l’intérieur de tout cela, mon regard se voit encore prendre encore un autre aspect, loin de toutes ces appartenances politiques.
Bien sûr pour moi le besoin était d’être suffisamment sur le recul pour anticiper un éventuel dérapage qui m’amènerait à quitter précipitamment le pays, mais aussi et bien sûr un besoin de m’extraire de toutes ces prises de positions risquées. En tant qu’étranger, je ne maîtrise évidemment pas les connaissances suffisantes pour aller plus loin dans mon analyse et puis au bout, ce sont les Thaïs et les Thaïs seuls qui décideront pour l’avenir de leur pays.
Mais pour autant, ces événements, je les ai donc vécus avec un grand intérêt du fait que tout un chacun était de toute manière concerné. Impossible de ne pas s’en préoccuper. Paradoxe absolu car ces événements dans leurs formes physiques ont eu lieu dans un seul quartier de Bangkok pendant ces 2 mois : à peine plus grand qu’un territoire allant de République à Châtelet, ce qui ne représente qu’un échantillon minime pour une ville d’environ 80 km de large, vous l’imaginez bien. Le contraste est donc fort, et il est difficile de palper le moindre effet sur tout le reste de la ville et du pays.
Bouclé par l’armée et aussi par les rouges eux-mêmes ne voulant voir aucun dérapage, il était impossible de s’en approcher. Pourtant si d’un côté des barricades, la tension devait être extrêmement intense et violente surtout vers la fin du mouvement, le reste de Bangkok est resté de marbre. La vie a tout simplement continué normalement. Les marchés étaient pleins, les embouteillages toujours là, et tout le monde à son poste habituel. Et j’avoue qu’il était très difficile d’être touché par la panique, quand on va au travail normalement, que tout est ouvert, que la vie semble des plus calmes, que vous ne voyez ni militaires ni phénomènes anormaux alors que vous n’êtes qu’à quelques km du centre concerné par la bataille.
Puis vint la fin du conflit. Entre besoin de voir vite cette guérilla se terminer vu les pertes économiques colossales du pays mais surtout je crois, face à la crainte de voir réellement le pays se scinder en 2, avec au bout, des symptômes de guerre civile que plus personne n’aurait pu contrôler, l’armée n’a peut-être pas eu d’autre choix que d’intervenir violemment et d’en finir, tout en aboutissant sur les malheureuses images distribuées par tous les médias occidentaux.

Les derniers jours du conflit ont été couronnés par un couvre-feu de plus d’une semaine. On a ainsi vu monter une tension, une inquiétude mais aussi une grande excitation parmi la population. La sensation de voir une page importante de l’histoire du pays est ainsi montée à la tête de beaucoup de Thaïs. Le jeudi 20 Mai, alors que les incidents violents retentissent entre manifestants rouge et l’armée qui vient de commencer à raser leur camp, des manifestants de tout le pays sont soi-disant en route vers la capitale.-Et c’est le début du couvre feu. L’agence où je bosse ferme évidemment en début d’aprèm et il s’agit de rentrer à l’abri. J’irai d’ailleurs passer la nuit chez un très bon ami du boulot car la ville pourrait prendre un autre visage ce soir. En chemin, on s’arrête dans les supermarchés pour y prendre quelques réserves de nourriture comme presque tout le monde. Quelques boutiques anticipent en collant du papier journal sur leurs vitrines au cas où, même si on se trouve bien loin du lieu du conflit. Mais on ne distingue pas de panique pour autant. Tout le monde regarde à la télé les premières images parues depuis le centre ville et voit ses gratte-ciels tout simplement partir en fumée les uns après les autres. Certains s’inquiètent un peu par ces exactions de dernière chance, d’autres pleurent leur plus grand centre commercial qui disparaît sous les flammes devant leurs yeux et d’autres encore sourient gracieusement de voir ces buildings, symboles des ultra-richissimes de ce pays, se voir malmener.

Il y en a pour tous les goûts. Mais là, encore pas de sensation de danger apparent. On observe ce qui se passe, on zappe sur toutes les chaînes publiques et internationales qui nous relatent les événements au fur et à mesure. Mais il est vrai que vivre cela de l’intérieur est quelque chose de fort, quelque chose de difficile à exprimer en même temps. L’inconnu pour le lendemain est une sensation assez particulière même si elle rime avec avenir et changement, mais sans doute aussi par les larmes et la douleur de certains.

Aujourd’hui tout est redevenu calme, et le centre ville se dévoile beaucoup plus carbonisé qu’auparavant. Pommi, mon collègue de boulot ira d’ailleurs y faire de magnifiques photos dont quelques-unes qui suivent.



Quelques mannequins dans une vitrine ont été retouchés par les manifestants avec quelques dictons dont il est très facile de deviner le sens sans parler le Thaï... :)


Des militaires prennent un café à un Starbuks qui, bizarrement, n'est pas parti en fumée...





Quelques photos de centres commerciaux,jadis à la pointe de la mode occidentale. Je crois qu'il va falloir un petit relifting pour être de nouveau dans la fashion mouvance!


Lieu autrefois extrêmement fréquenté, ce quartier est aujourd’hui déserté de ses consommateurs habituels.
Ces photos décrivent ainsi sans aucun doute la violence qui a régné dans ce quartier et le désespoir qui a poussé ces manifestants à tout brûler en dernier choix.
Mais si ce quartier ne mettra certainement pas bien longtemps à retrouver son plus bel apparat, sera-t-il possible d'en dire autant pour la population? Rien n'est moins sûr.

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